Interview de Jean-Gabriel Périot
Quel est le rôle du Cinéma, son engagement ? Allemagne, années 70, le mur de Berlin est encore solide. Le « groupe Baader-Meinhof » plus communément appelé Fraction Armée Rouge tente de s’initier dans la politique Allemande. Croyant tout d’abord en la force de l’image, ils finiront par se radicaliser dans le terrorisme. Une jeunesse Allemande, le nouveau documentaire de Jean-Gabriel Périot, nous transporte dans le passé et réveille la bande à Baader. Exclusivement composé d’images d’archives, ce film pose la question de la violence au sein de notre société et de la force, de l’impact du cinéma sur celle-ci.
Rencontre avec Jean-Gabriel Périot, réalisateur de ce documentaire passionnant, maniant avec justesse et génie des images poignantes et considérables.
« Faire la révolution avec un film, je pense que ça ne marche pas. »
Votre film cherche à trouver quel est le rôle du cinéma, à travers l’engagement. Ce qui est intéressant, c’est qu’on se rend compte que le « groupe Baader-Meinhof » qui croyait en la force de l’image finit par se radicaliser dans le terrorisme. La force de l’image semble pour nous se trouver dans votre film, dans le témoignage qu’il offre au spectateur d’une époque. Pensez-vous que votre film s’apporte à lui-même la réponse à la question qu’il pose ? Vous avez déjà avoué ne pas croire que « le cinéma change quoi que ce soit »
Il n’y a pas de réponse dans le film à cette question. Il reste très interrogatif. Mais en tout cas j’avais besoin de questionner une histoire dans laquelle des cinéastes, ou des journalistes, ont cru que l’image pouvait changer le monde. Que les films pouvaient changer le monde. J’avais besoin de me confronter à ça, à cette croyance, au rôle qu’ils assignaient à l’image. Et ce qui est pessimiste c’est qu’ils arrêtent le cinéma. Parce qu’à un moment ils n’y croient plus. Faire la révolution avec un film, je pense que ça ne marche pas. On peut utiliser le cinéma comme pour ajouter des petits cailloux, mais on ne fait jamais la révolution avec des films. On a besoin du cinéma, mais je ne pense pas que le cinéma est actif. La télévision, elle, crée quelque chose, mais le cinéma est trop fragile. Il est important, nécessaire, mais il ne fait pas la révolution.
Votre travail est avant tout motivé par la violence. Est-ce la pour vous la nature profonde de l’Homme ?
Je n’espère pas. En tout cas c’est une partie de l’Homme qui me pose problème. On est capable du mieux comme du pire, et moi je me focalise sur le pire. Je ne comprend pas que l’on soit encore dans un monde si violent. Et même en France, dans un pays si privilégié par rapport à d’autres, on arrive encore à être hyper violent. Mais même dans les relations humaines ! Il y a une espèce de chose que je ne comprend pas. Je ne comprend pas que l’on ne soit pas dans un monde plus pacifié. Certes, c’est un peu naïf, un peu abstrait, mais je ne comprend pas. Tout ça me dépasse, et c’est justement dans mon cinéma la question centrale.
Votre cinéma n’est pas militant, il est politique. Prétendez-vous à l’objectivité ?
Non, pas pour autant. Il y a une objectivité historique dans le film : je ne change pas les dates. Et puis ce sont des archives, quand les hommes politiques et les fondateurs de la RAF passent à la télévision et parlent, ils ont dit ça. Il y a une part de choses qui ont vraiment été énoncées. Il y a une réalité historique. Les archives permettent ça. Et en même temps c’est ma vision à moi de l’histoire. J’aurais pu la raconter différemment, j’aurais pu choisir d’autres extraits, rajouter une voix-off et raconter ce que je voulais. Il y a une manière de travailler l’histoire qui m’appartient. C’est la lecture des évènements qui est objective. Forcément. J’essaye de raconter le film au présent de son époque.
On trouve au moins dix minutes de « plans noirs », accordant ainsi toute l’attention sur la parole émise. Pouvez-vous nous expliquer ce choix de mise en scène.
Et bien tout simplement parce que ce sont des archives sonores. Je n’avais pas l’équivalent dans un objet film, dans une archive télé ou un film. Et j’essayais au début de les monter comme ça se fait un peu classiquement, c’est-à-dire avec des images d’illustration. Mais ce n’était pas très juste, parce que je ne touche pas dans les archives, je n’interviens pas et ne modifie pas les choses. Et surtout, le fait d’enlever l’image rendait vraiment ces voix très très fortes. Donc en essayant les deux je me suis rendu compte que c’était ce qu’il y avait de plus puissant. Avec le noir on arrive à se figurer celui qui parle, l’imaginaire s’exécute.
Votre film s’inscrit-il dans un devoir de mémoire, où dans une tentative de compréhension d’une époque, d’une génération ?
Alors devoir de mémoire c’est sûr que non. Je suis même contre le devoir de mémoire. Je suis pour un rapport de mémoire qui soit subjectif. Je me souviens au lycée, en Terminale, lorsque nous étudions la Seconde Guerre mondiale, avoir vu un film sur les camps… C’était odieux pour moi, je ne pouvais pas… C’était trop violent. Et je pense que l’on ne peut pas tous comprendre au même âge. Nous n’avons pas tous le même rapport aux choses qui sont incompréhensibles, et il n’y a pas de raison d’imposer ce genre de choses à une classe ou une population. Je trouve que l’histoire est instructive quand on y va soi-même. Lorsque l’on décide que l’on est prêt et que l’on peut essayer de la saisir. Et donc oui, mon film s’inscrit plus dans une tentative de compréhension. Parce qu’au début je ne connaissais absolument pas cette histoire là. Et peu à peu, au fur et à mesure de mes recherches sur ce groupe terroriste, j’ai eu besoin de comprendre.
« La télévision manque de temps, de réflexion et de pensée »
Que pensez-vous de la télévision aujourd’hui ?
La télévision manque de temps, de réflexion et de pensée. Le problème est qu’elle montre des images de violence comme ça, sans les accompagner. Le temps télévisuel contemporain est étrange. On assiste a une accumulation de choses, d’informations, d’images volantes, de publicités, tout se mélange… On est impressionné mais on passe tout de suite à autre chose. Je ne regarde pas la télévision. Et justement parce qu’un jour j’ai décidé de ne plus la regarder.
L’internet aujourd’hui représente-t-il la télévision d’hier ?
Je ne suis pas un grand consommateur d’internet, je suis un peu old-school. Donc du coup le rapport que j’ai avec internet est très simple. Je l’utilise comme avant j’achetais les journaux. Je vais regardé libé, le monde… Mais je ne vais pas être assez curieux d’un coup pour aller chercher quelque chose sur un blog. Mais un avantage sur internet, c’est le fait qu’il y ait plusieurs propositions et accès à l’information. Tandis que la télévision ne le permet pas, elle impose des éléments et une lecture. Tandis que sur internet, quand on commence à se questionner sur quelque chose, on peut aller chercher ailleurs. On peut être curieux sur internet, ce que ne permet pas la télévision. C’est un média beaucoup plus ouvert.
« On ne peut agir sans violence, dans une société devenue violence »
Malheureusement je pense que c’est toujours vrai. Il n’y a pas de contre exemple dans l’histoire. Il y a toujours une certaine obligation à passer à l’acte, à réagir à cette violence. Grosso modo, en contre exemple, il y a Gandhi. Et encore… Gandhi faisait le choix que les manifestants qui venaient avec lui allaient se faire buter par les anglais. La manifestation non violente prenait en considération le fait qu’il allait y avoir plusieurs centaines de morts à chaque fois. Donc c’est quand-même une non-violence où le résultat est le même à la fin. Malheureusement c’est indécrottable. On l’a vu la dernière fois au printemps arabe, il faut vraiment que ça se bastonne dans la rue pour que ces gens soient considérés par le gouvernement.
On parle de « se faire violence »…
Oui, quand on accepte on se fait aussi violence. On pourrait retrouver ça sur la question du travail. D’accepter d’un coup d’avoir un job de merde, d’être harcelé et de se taire parce qu’on a besoin de ce boulot et de se faire mal soi-même. Soit on réagit et on claque la porte ou on casse la gueule à son DRH, soit on dérobe des primes et on se suicide sur son lieu de travail.
« Il y a une différence nette entre esprit critique et destructeur »
C’est la fin de la pensée. C’est ce qui arrive aussi aujourd’hui avec les gens qui estiment qu’ils peuvent-être racistes contre la parole unique. Comme Morano, ou Zemmour. Ils se positionnent comme critiques de leur temps en renvoyant ceux qui sont anti-racistes ou humanistes à des vieux dinosaures réactionnaires. Et j’ai adoré cet extrait pour ça parce que c’est une inversion totale des valeurs qui en plus, dans le fond, ne veut rien dire.
Votre film se termine par un extrait du merveilleux L’Allemagne en automne de Rainer Werner Fassbinder. Un débat politique entre une mère et son fils. « Le mieux serait un pouvoir autoritaire qui serait bon, aimable et descend » clôt votre documentaire. Est-ce la votre position sur le sujet ?
Evidemment que non ! Ce qui est intéressant avec la mère de Fassbinder, qui dans le film est plutôt une femme de gauche, c’est qu’elle arrive soudainement à ça. A cette idiotie là. Qui d’un coup appelle à un régime autoritaire… Un dictateur qui serait gentil ça ne marche pas ! On voit comment la pensée devient réactionnaire. Elle représente l’Allemande de tous les jours qui d’un coup peut dire ça. Il y a un échec de la pensée à ce moment là. Mais on ne peut pas pour autant dire que c’est une conne, cette femme pourrait être notre mère. C’est comme aujourd’hui avec Le Pen. On s’engueule aujourd’hui avec des gens sur des questions vraiment limites… Il y a une espèce de chose un peu crasse qui s’installe en France, dans la vie de tous le jours.
Pourquoi faites-vous du cinéma ?
Je veux faire des films depuis que je suis gamin. Petit, j’avais le droit d’aller au cinéma tout seul, et j’y allais tout le temps. Et en voyant les films, je trouvais que c’était un métier super ! Je voulais essayer de redonner le plaisir que j’avais moi en tant que spectateur. Après, j’ai été très longtemps monteur, et c’est quelque chose que j’ai vraiment aimé. J’aurais pu le faire toute ma vie. Mais j’ai commencé à faire des films car je ne trouvais pas dans le cinéma contemporain, les films que je cherchait. Des films politiques. Il y en avait beaucoup dans les années 60, 70, dans l’avant-garde… Mais des films d’aujourd’hui, directement politiques, il y en avait trop peu. Et à un moment je me suis dit « arrête de te plaindre et fais-les ! ». Et c’est encore ce qui me motive, de prendre cette place la. Parce qu’il faut la prendre. Le jour ou toute votre génération fera du cinéma politique, j’arrêterai.
AEC
par Léolo Victor-Pujebet
14 octobre 2015